Depuis les années soixante les villes font face à un étalement urbain sans précédent pour répondre aux besoins d’une population citadine qui ne cesse de grandir : demandes de logement, de transports, d’activités, de parkings… Cette transformation de la ville engendre une artificialisation hostile au vivant, notamment mise en lumière dans la deuxième édition du « Global Land Outlook », rapport de l’ONU publié le 27 avril 2022 après cinq ans de travaux à l’échelle internationale. Désormais, 40% des terres de la planète sont en état de dégradation avancé. Une des causes ? L’urbanisation en masse et l’imperméabilisation des surfaces qui défavorisent la résilience urbaine au dérèglement climatique, à la perte de la biodiversité, et au bien-être des habitants.
Les températures augmentent dans les villes : en témoignent de nombreuses observations qui notent des différences de températures entre les centres urbains et les territoires limitrophes de 4°C en moyenne, mais qui peuvent atteindre jusqu’à 12°C. L’artificialisation et la bétonnisation des sols sont en grande partie responsables. En effet, les surfaces foncées, très fréquemment de l’asphalte ou du béton, peuvent représenter plus de 40 % de la superficie d’une ville selon des estimations de l’ADEME. Ces revêtements absorbent les rayons du soleil, et donc la chaleur, au lieu de la refléter. La chaleur emmagasinée pendant la journée est par la suite restituée en période nocturne, pouvant fortement contribuer à des épisodes de canicule.
Les phénomènes d’îlots de chaleur urbains (ICU) ont des impacts multiples : conséquences sur la santé, sur le bien-être des habitants, sur l'attractivité des centres-villes, sur les consommations énergétiques (dues à la climatisation), sur la résilience des infrastructures et les réseaux urbains, mais aussi sur la faune et la flore.

La biodiversité disparaît…et avec elle les services écosystémiques qu’elle rend. Et pourtant, les citadins bénéficient de nombreux services rendus par la nature. En ville, la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité note principalement des services de régulation du climat, de l’air, des eaux, mais aussi des services culturels qui sont récréatifs (comme le sport), éducatifs (sensibilisation à l’environnement), et esthétiques. Pour plus de 8 français sur 10 la proximité d’un espace vert est un critère important dans le choix de leur lieu d’habitation.
Face à ces défis urbains, il existe des solutions. Pour mieux s’adapter aux effets de l’urbanisation et du dérèglement climatique, les villes sont encouragées à renaturer leurs sols. La renaturation consiste à lutter contre la perte du système du vivant, qui, de fait, se retrouve étouffé sous une surface bitumée ou bétonnée. En mettant en place des opérations de renaturation, les collectivités s'assurent un équilibre des sols et veillent à ce que les surfaces soient à nouveau connectées avec la nappe phréatique en passant par un sol continu, vivant, et abritant un écosystème riche.
La perméabilisation des sols ne paraît pourtant pas toujours comme une priorité dans les politiques publiques, alors que les avantages écologiques et socio-économiques sont nombreux. On peut par citer par exemple :
- Le ruissellement de l’eau (pluie, fleuve, etc) qui permet d’éviter les inondations
- Donner au sol vivant l'eau dont il a besoin
- Faire des économies, en réduisant les infrastructures d'évacuation
- L’amélioration du cadre de vie des citadins, surtout depuis la crise du Covid-19 qui a généré de la part des habitants une demande pour davantage de nature en ville
- Une meilleure interaction entre espèces vivantes qui est fondamentale pour l’équilibre des écosystèmes
- La réduction des phénomènes d'îlots de chaleur
- Une atténuation de la pollution de l’air et du sol
Selon le Ministère de la Transition Écologique, en France, entre 20 000 et 30 000 hectares de sols sont artificialisés chaque année. Plus alarmant encore, cette artificialisation augmente presque quatre fois plus vite que la population. Aussi, la lutte contre l’artificialisation est un des axes majeurs du Plan Biodiversité conçu par le gouvernement et dont l’objectif est de parvenir à « zéro artificialisation nette », dit « ZAN », d’ici 2050 selon la loi Climat et Résilience. Pour ce faire, il s’agit de limiter autant que possible la consommation de nouveaux espaces et, lorsque c’est impossible, de « rendre à la nature » l’équivalent des superficies consommées.
Pour maitriser l’urbanisation, les plans locaux de l’urbanisme (PLU) et les schémas de cohérence territoriale (SCOT) sont des outils dont peuvent s’emparer les collectivités territoriales. Il faut en effet adapter ces mesures au contexte local qui doit concilier avec diverses politiques publiques, dont celle du logement qui peut encouragerla mobilisation des surfaces déjà artificialisée en promouvant la densification, l’utilisation des locaux vacants et des friches.
Actrices essentielles de la transition, les villes mènent des actions qui démontrent l’efficacité et l’innovation que l’échelle municipale peut apporter face aux enjeux transversaux de la double-crise du climat et de la biodiversité. En effet, les collectivités locales et ses divers acteurs (associations, équipes municipales, universités, etc) sont les plus à même de prendre en compte les spécificités du terrain et d’encourager la mobilisation des citoyens dans la mise en œuvre de projets de renaturation. Placer la Nature au cœur des projets urbains permettrait de contribuer à atteindre l’objectif +1,5°C défini par l’Accord de Paris et de manière définie comme plus rentable.

Il est estimé que plus de 6 000 espèces ou variétés de plantes peuvent trouver une place au cœur d’un milieu urbain. Un territoire intégrant 30% d’espaces naturels permet ainsi de diminuer de 50% l’effondrement des espèces. En France, le Grenelle de l’environnement a décrété en 2007 la mise en place d'une importante "trame verte et bleue” visant à préserver les continuités écologiques et constituer un réseau national de couloirs écologiques. Plusieurs trames sont désormais intégrées aux politiques urbaines de plus en plus de municipalités, comme à Rouen par exemple. Au travers de son programme “Rouen Naturellement”, plusieurs trames ont été instituées :
- une trame verte : maillage d’espaces végétalisés
- une trame bleue : connecter les cours d’eau et les zones humides
- une trame brune : continuité des sols
- une trame noire : secteurs où l’on favorise la vie nocturne en luttant contre la pollution
Pour renaturer les villes et célébrer la biodiversité ainsi que le bien-être citadin, les collectivités sont invitées à suivre des initiatives qui ont déjà porté leurs fruits comme la création de jardins partagés, de parcs, ou de programmes d’agriculture urbaine. Il est important d’insister sur des actions qui impliquent les citoyens à part entière. On pourrait parler ici de favoriser davantage l’éco-citoyenneté dans les programmes de renaturation des municipalités. En effet, réaménager le territoire est souvent mal accepté par la population, souvent méfiante envers les travaux que cela implique. Les équipes municipales en charge de ces projets gagneraient à intégrer systématiquement les habitants dans leurs opérations.
Citons le succès de Strasbourg et de son programme “Strasbourg, ça pousse”. L'initiative est née d’une volonté politique de réintégrer la nature en ville en déminéralisant puis en re-végétalisant les espaces publics (pieds de façades et d’arbres, trottoirs…). Les citoyens sont les acteurs principaux dans la mise en œuvre de ce projet qui favorise par exemple le lien social et le jardinage partagé. La ville a simplifié les démarches pour que les habitants s'impliquent dans le développement d'une ville résiliente et plus verte. Une carte des différentes initiatives (jardins familiaux, partagés ou d'écoles, potagers urbains, trottoirs végétalisés, points de compost...) est ainsi proposée sur le site web consacré à l'opération.
De quoi s’inspirer ?
Sources :
- Cerema : https://www.cerema.fr/fr/actualites/desimpermeabilisation-renaturation-sols-nouvelle-serie ; https://www.cerema.fr/fr/actualites/solutions-ville-demain-renaturation-sols-retour-journee ; et https://www.cerema.fr/fr/actualites/ilots-chaleur-agir-territoires-adapter-villes-au-changement
- Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB) : https://www.fondationbiodiversite.fr/les-ecosystemes-urbains-une-evaluation-dans-le-cadre-du-programme-efese/
- Ministère de la Transition Écologique : https://www.ecologie.gouv.fr/artificialisation-des-sols
- République et Canton de Neufchâtel : https://www.ne.ch/autorites/DDTE/SFFN/nature/Documents/Jardins%20vivants/Action-14.Sols%20permeables.pdf
- Rouen Naturellement : https://rouen.fr/definition-renaturation#:~:text=La%20renaturation%20d%C3%A9signe%20les%20processus,et%20de%20sensibilisation%20des%20usagers.
- Envies de Ville : https://www.enviesdeville.fr/transition-ecologique/renaturation-la-solution-pour-soutenir-la-resilience-de-la-ville/
- Strasbourg ça pousse : https://www.strasbourgcapousse.eu/
- Agence d’Urbanisme de la Région Nantaise : https://auran.org/content/quest-ce-quun-ilot-de-chaleur
Comments